Nicolas DISSEZ
Psychiatre, Paris
Clinique Psychiatrique d’Épinay-sur-Seine
L’hospitalisation comme thérapeutique
Quelques propositions à partir de l’expérience de l’accueil hospitalier de patients Hikikomori.
Je me propose de faire part ici, au titre d’un partage d’expérience, des effets de l’accueil de patients dits Hikikomori primaires en milieu hospitalier, ainsi que d’un certain nombre d’hypothèses et de propositions qui en découlent. Je pars du constat que la conduite de réclusion des patients dits Hikikomori primaires comporte des singularités spécifiques : cet enfermement ne se traduit par le surgissement d’aucun manque (en particulier concernant les relations sociales ou la sexualité) ni par des manifestations clairement dépressives comme c’est le cas, par exemple, dans les situations d’isolement consécutif à un registre phobique classique. Consécutivement, ce contexte clinique se caractérise par l’absence de toute plainte, de toute demande auprès de l’entourage ou des médecins.
L’accueil hospitalier de ces patients conduit à une première surprise : le retrait dans la chambre au sein du domicile familial – qui donne son nom au tableau clinique de Hikikomori – ne perdure pas à l’hôpital. Après quelques jours ceux-ci sortent de leur isolement pour prendre leur repas en commun et nouer des relations avec les autres patients, voire acceptent les propositions d’entretiens avec le médecin ou le psychologue. La reprise de ces liens s’effectue toutefois sans en prendre eux-mêmes l’initiative, sans qu’ils en fasse spontanément la demande.
Cette première surprise peut conduire à une hypothèse : la claustration au sein de la famille constitue moins un refus de toute relation qu’un évitement des demandes d’engagement, d’implication, et de réussite sociale soutenues par l’entourage. Ces demandes sont incarnées, sur un mode inévitable puisque conforme à leurs fonctions d’éducateurs, par les parents. Le cœur de la difficulté des patients dits Hikikomori se situerait donc moins dans la claustration que dans le désaveu, le refus et l’évitement de tout discours impliquant une ambition sociale partagée.
C’est la confrontation avec cette demande de réussite scolaire, d’ambition professionnelle, voire implicitement d’engagement amoureux hors de la maison qui conduit ces patients à une situation paradoxale d’enfermement au sein même de la famille. L’usage régulier d’Internet maintiendrait un lien qui les ne confronte pas aux mêmes demandes. Notons que ce contexte clinique souligne en creux la fonction sociale de cet engagement par le biais d’une ambition – ou « jouissance » dans une terminologie psychanalytique – dans laquelle ces patients ne s’inscrivent en rien. Comme régulièrement, le fonctionnement pathologique vient ici éclairer le registre ordinaire, dit normal.
Une telle lecture ne peut que conduire le praticien – se soumettant aux positions subjectives de ses patients – à renoncer à toute incitation à s’inscrire dans un idéal de réussite sociale. Cette attitude soignante traditionnelle dans le contexte de l’hôpital psychiatrique entre indéniablement en contradiction avec la logique entrepreneuriale qui traverse aujourd’hui « l’Hôpital entreprise ». Il s’agit ici d’éviter de soutenir une attitude éducative qui pourrait se manifester sous la forme d’une demande de projets, d’une inscription sociale rapide en dehors de l’hôpital pour soutenir la possibilité de parcours singuliers qui permettent à ces patients de s’extraire de leur situation initiale au sein de leur famille.
Cette perspective thérapeutique maintient toutefois un constat : si la réclusion, le défaut de relation à l’autre, ne constituent pas le cœur de la psychopathologie de ces patients, l’absence de toute demande, de toute prise d’initiative n’est pas modifiée par l’admission à l’hôpital, elle perdure à la suite de l’hospitalisation et témoigne bien d’une constante de ces tableaux cliniques singuliers et encore largement méconnus par la communauté médicale.