Alain Mercuel
Psychiatre des Hôpitaux
Pôle « Psychiatrie-Précarité » de Paris
Centre Hospitalier Sainte-Anne
Une toile d’araignée un peu poussiéreuse se tendait entre son lit et son ordinateur… Sa seule plainte lors de notre rencontre, facilitée par les parents chez qui il vivait, était de « n’avoir pas assez de place »…
Il aurait bien voulu que les parents lui autorisent à investir la chambre de sa sœur …partie depuis deux ans effrayée par son « apragmatisme outrancier ». De la place il en manquait aussi sur ses disques durs, internes comme externes. Saturation totale, véritable « diogénisation » de son ordinateur où tout ce qu’il trouvait d’intéressant sur la toile venait s’entasser. Sa chambre, un peu sale mais pas trop encombrée était l’objet de crainte des parents : « ça va déborder !». Alors pour que cela ne déborde pas de l’interne vers l’externe, le cadeau de Noël tout naturel fût un nouvel ordinateur…
A partir de ce cadeau, comment penser les Hikikomori (HK) en termes d’intelligence artificielle (IA) ?
Sont-ils des Hommes augmentés, des Hommes relayés ou des Hommes diminués ?
HK, Homme augmenté : Si les moyens financiers et matériels personnels et plus fréquemment ceux de la famille le permettent, et si la fenêtre sur l’extérieur est internet par le biais de jeux connectés, en groupe, sur un espace mondialisé, mais également par l’utilisation de toutes les façons de vivre sans déplacement par les livraisons à domicile par exemple, alors la personne en retrait social sera plutôt dans un pseudo-retrait. En effet internet et l’IA viennent conforter les HK dans le fait de pouvoir vivre en totale autonomie. Tout cela laisse imaginer que le retrait social pourrait être le point ultime de l’Homme augmenté.
Adresser ses avatars sur la planète entière, envoyer son propre hologramme et n’interagir avec le monde entier que par la fenêtre de la toile deviendrait une vie rêvée où jamais plus le regard de l’autre ne viendrait juger. Quel cadeau cet ordinateur supplémentaire !
HK, Homme relayé : sans moyens aussi conséquents, le retrait social réclame une aide, un soutien.
Puisque ne pouvant subvenir à ses besoins HK est à considérer alors comme un handicapé psychique doublé d’une incapacité à vivre en relation « distancielle » avec le monde. Le seul contact avec l’extérieur demeure l’entourage tant que celui-ci peut assurer : « A Noël offrons-lui un petit ordinateur, il pourra surfer sur internet… ». Ce n’est plus une fenêtre sur le monde mais un « ordinateur-moucharabieh »
HK, Homme diminué : au-delà du handicap et de l’incapacité d’un rapport au monde même en distanciel, HK peut se laisser glisser… Un comportement devient végétal face à un écran qui s’éteint peu à peu et de plus en plus souvent… Serait-ce alors un syndrome de glissement social voire de mort sociale psychogène ? On ne joue plus sa vie même si le jeu en offre plusieurs. Effacer la mémoire « vive » … et s’ennuyer à mort. « Ce n’est pas un cadeau, l’ordinateur qu’on lui a offert à Noël… »
Mais les actions portées par les tiers (famille, entourage, social, sociétal, …) poseront toujours la question incontournable de l’autre IRL In Real Life, l’autre corporel. Comme un doute et une question pour HK Homme augmenté, HK Homme relayé, HK Homme diminué vont être débattus l’abstentionnisme médical, le soutien des relayeurs, l’interventionnisme par une hospitalisation, le plus souvent sans le consentement puisque personne en danger ?