Marie-Jeanne Guedj
Psychiatre et pédopsychiatre
La liste des journalistes ayant abordé la question depuis 2012 est impressionnante. On remarque des pics de demandes d’aide par les familles à la suite de chaque reportage. Pour autant cela n’a jamais atteint les pouvoirs publics en France comme c’est le cas au Japon.
Voici quelques extraits remarquables de media qui se sont penchés sur la question depuis 2012, tant dans la description du phénomène Hikikomori que dans l’inquiétude qui y est associée : une incitation à demander de l’aide en somme.
Marc Gozlan publie dans Le Monde 2012 « Des cas de « hikikomori » en France ». Il s’en suivra une centaine d’appels de familles en détresse qui se reconnaissent dans cet article.
« Certains spécialistes n’hésitent pas à qualifier ce phénomène d’épidémie. La situation est d’autant plus complexe qu’on ne compte que 169 pédopsychiatres dans l’Archipel, alors que les premiers signes d’absentéisme scolaire ou d’isolement peuvent parfois être repérés dès l’âge de 12-13 ans. En outre, certains parents, honteux d’avoir un enfant concerné, tardent à consulter. Il peut aussi exister de la part de l’entourage familial une tolérance, voire une indulgence vis-à-vis du jeune reclus qui, lui, refuse souvent toute consultation médicale. Les hikikomoris souffrent fréquemment d’une pathologie psychiatrique qui sous-tend l’isolement.
Certains cas ne s’accompagnent pas de trouble mental ou du moins, s’il en existe un, sa présence ne suffit pas à justifier le comportement de retrait et de claustration. Surtout, ce
phénomène n’est pas lié à ce qu’on dénomme abusivement « addiction » au Web ou aux jeux vidéo. En réalité, fait remarquer le professeur Kato, Internet et les jeux vidéo contribuent simplement à réduire le besoin de communication en tête-à-tête avec ses semblables. Pour le neuropsychiatre, « les changements du mode de vie familial et social expliquent en grande partie le développement croissant du phénomène ».
Karine Hendriks publie « Chambre close » dans le Journal Néon 2014.
« Ils ont 18, 20, 25 ans et vivent cloîtrés chez eux. Le plus souvent dans leur chambre, chez leurs parents. Depuis des jours, des mois, des années parfois. Comment en sont-ils arrivés là ? Enquête sur un étrange syndrome. Nous avons croisé Cyril et Sébastien sur un forum de jeux vidéo. Certains s’y retrouvent, se qualifiant eux-mêmes de « cassos ». Mais peu se livrent réellement. Il aura fallu des semaines pour en apprivoiser quelques-uns. Si le jeu vidéo fait partie de leur quotidien, aucun ne l’identifie comme la cause de l’enfermement. Plutôt un moyen – parmi d’autres – d’occuper ses journées.
Les nouvelles technologies facilitent la claustration, mais ne l’expliquent pas. Alors comment la comprendre ? Pour la psychiatre Marie-Jeanne Guedj, qui a travaillé durant 22 ans à l’hôpital St-Anne et a été la 1ère en France à utiliser le terme de hikikomori pour désigner certains de ses patients, tout mettre sur le dos de la société serait une erreur. Pour autant, elle refuse aussi de considérer que ces « retirants » seraient tous des malades qui s’ignorent. Au Japon, on distingue deux types de hikikomori, « primaire » et « secondaire », l’enfermement secondaire étant considéré comme lié à une pathologie psychiatrique : schizophrénie, troubles psychotiques… Une étude récente au Japon affirme même que 50% seraient atteints du syndrome d’Asperger, une forme particulière d’autisme qui ne s’accompagne pas d’une déficience mentale. Pour Marie-Jeanne Guedj, « les pathologies ou non associées sont souvent longues et difficiles à identifier ».
Elle estime que la réclusion résulte d’un « ensemble d’éléments » : société, personnalité, mais aussi contexte familial. « On trouve chez nombre de parents le sentiment que l’extérieur est mauvais. Même si ce n’est pas forcément avoué, il y a l’idée finalement que l’enfant est mieux à la maison qu’à traîner dehors…Le risque est une sorte d’accoutumance à la situation, à laquelle s’ajoute souvent la honte et la difficulté de savoir où s’adresser. ». Pour aider les parents, elle a créé à St-Anne une consultation « famille sans patient ». Elle assimile la réclusion à une « conduite addictive » : au départ, l’isolement est vécu comme un soulagement. Mais petit à petit, le jeune se retrouve pris dans un engrenage et il devient de plus en plus difficile de sortir de la bulle dans laquelle il s’est lui-même enfermé.
Le grand quotidien japonais Asahi Shimbun 2019 titre « Hikikomori, un grand souci aussi en Europe ».
« En Europe aussi on commence à utiliser le mot japonais hikikomori. Découvrant dans des programmes documentaires télévisés du Japon les cas des jeunes en état de hikikomori dans leur chambre, les gens commencent à reconnaître que des cas identiques existent aussi en Europe : enfants qui s’enferment dans leurs maisons à la suite de troubles dans les relations interpersonnelles, parents angoissés ne pouvant trouver des solutions… les situations ressemblent beaucoup à celles du Japon. »
Un article important est fourni par Moustique 2020, Philippe Lambert, « Le monde cloîtré du hikikomori ».
« Bien avant le confinement, certains jeunes ont décidé de rester volontairement cloîtrés durant des mois, avec pour seul compagnon l’univers virtuel de la Toile. On les appelle des “hikikomori”, du nom qu’on leur a donné au Japon, premier pays touché par un phénomène qui s’amplifie. Dans un nombre important de cas, le hikikomori finit par s’étendre aux parents : ils en arrivent à ne plus voir la famille extérieure, leurs amis… Pourquoi ? Ils ont honte, se sentent coupables, perçoivent leur fils non plus comme un adolescent ou un jeune adulte, mais comme un bébé sur lequel il faut veiller. Comme le jeune, la famille est en souffrance. En se cloîtrant, le hikikomori se dessaisit de ses capacités de compréhension du monde, de ses capacités physiques et relationnelles, alors qu’il est à l’âge où l’on doit se forger un avenir.
Même si la psychiatrie est dans une relative impasse diagnostique, une prise en charge du sujet hikikomori s’impose afin de lui permettre de récupérer ses facultés. »
Le journal Allemand Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung a publié un long article en mai 2023 signé Merlin Wassermann : « Sortir n’en vaut pas la peine ».
« Au Japon, on estime qu’un million de personnes vivent à l’écart du monde extérieur – les “hikikomori”. En Europe aussi, de plus en plus de personnes s’auto-isolent. Le phénomène est-il le même phénomène ou quelque chose d’autre ? Merlin Wassermann s’est entretenu avec des médecins et un malade. (…) “hikikomori” ; le terme vient du japonais, signifiant “se retirer”. Popularisé et considéré comme un concept médical établi en 1998 par le psychiatre Tamaki Saitō qui avait observé comment de plus en plus de Japonais – principalement des jeunes hommes – se séparait de la population. Cela concernait aussi bien les adolescents que les hommes ayant perdu leur emploi pendant la crise économique des années 1990 ou qui ne pouvaient plus faire face à la pression. Les hikikomori se retirent souvent complètement de la vie sociale ou bien la réduisent au moins à un minimum. La plupart du temps, ils vivent avec et aux crochets de leurs parents et, dans les cas extrêmes, ils ne quittent pas leur chambre pendant des dizaines d’années. Ils n’ont pas d’emploi, ne suivent pas de formation et ont des contacts sociaux presque exclusivement en ligne. Il n’existe pas de chiffres précis sur ce sujet au Japon. Selon les estimations du gouvernement japonais ils sont de l’ordre d’un million, mais il est possible que les limites soient floues et le nombre de personnes non déclarées pourrait être nettement plus élevé.
Les chiffres sont en tout cas suffisamment élevés pour que le gouvernement japonais mette en place des mesures et que les hikikomori soient devenus un phénomène à part entière, comme une partie intégrante de la culture populaire. C’est ce qu’indique Evelyn Schulz, professeur d’études japonaises à l’université de Munich. « On les trouve dans les mangas, dans la télévision, dans les chansons aussi ».
Dans le reste du monde, on s’intéresse désormais au phénomène. C’est le cas dans la culture populaire. Dans de plus en plus de films, de romans et de pièces de théâtre des protagonistes s’enferment dans leur chambre et dédaignent ce qui se trouve au-delà. Mais le monde scientifique et médical prend de plus en plus note des hikikomori en dehors du Japon.
Comment est donc la situation des “ermites modernes”, comme on appelle les personnes vivant recluses en Europe ?
Marie-Jeanne Guedj peut apporter des réponses. Psychiatre parisienne, elle est praticienne depuis 40 ans et se consacre depuis un certain temps aux hikikomori français. En juin 2020, elle a présenté ce sujet à la télévision française. “Nous avons alors reçu des messages de familles de toute la France qui ont demandé de l’aide”, raconte-t-elle. La même année, elle crée avec plusieurs psychiatres et psychologues une association, l’Association Francophone pour l’étude et la recherche sur les Hikikomori.
Il n’y a pas de chiffres solides sur le sujet en France, la psychiatre ne peut donc en donner. Actuellement, le Dr Guedj suit personnellement 17 jeunes et leurs parents. “Dans 80 à 90% des cas, il s’agit de garçons, entre âgés de 15 à 30 ans et issus d’un milieu social moyen ou aisés. Chez les jeunes hommes, le retrait social est plus socialisé. En outre, ils intériorisent, contrairement aux jeunes femmes, leurs problèmes et se replient donc sur eux-mêmes”. Le dr Guedj explique que les psychiatres font la différence entre les Hikikomori “primaires” et “secondaires”. Chez ces derniers, il existe un diagnostic psychiatrique qui peut expliquer – au moins en partie – le comportement. (…). »