Nœud de chaise, nœud de bouline, nœud coulant facile à défaire même s’il a subi une puissante traction. Pour la suite du propos qui nous réunit, une proposition de Platon qui nous dit” qu’il y a 3 sortes d’êtres : les morts, les vivants et ceux qui vont sur la mer ” ceux-ci, justement, utilisent sans cesse le nœud de chaise pour, par exemple, quitter le port en larguant à quai les amarres. Pour mes amis pédopsychiatres l’image analogique est parfaite : comment se séparer pour grandir, pour s’autonomiser des rives si tendres des bras maternels ? On peut donc dire que l’angoisse de séparation est la directe résultante de l’évolution de la relation objectale : passer de la fusion, de l’accordage affectif si cher à Daniel Stern, à la relation de sujet quand, vers le 9ème mois de la vie du bébé, il présente une anxiété à l’approche de quelqu’un qui n’est pas sa mère, l’angoisse de l’étranger, deuxième organisateur de la vie psychique selon René Spitz, est bien la preuve que l’on est devenu Soi. Mais, on le sait, tout n’est pas joué. Il faut passer du lait maternel, du merveilleux allaitement au biberon, aux morceaux. S’endormir, quitter l’abri des bras qui te portent, se réveiller loin de ses parents, alors que plus loin résonnent les ronflements de son père que l’on prend pour un lion ! Voilà le moment de la crèche ou de la nounou et puis la propreté, pour l’école maternelle. Parfois, derrière les grilles, maman ou mamie, papa et papy aussi vérifient l’arrêt des pleurs, que l’angoisse de la séparation a diminué et de fait, la renforce ! Nous sommes maintenant au Primaire, le moment d’apprendre. Mais, bien que classiquement, on parle à cette période, de phase de latence des émois amoureux, on peut souffrir du départ d’une petite amoureuse ou d’un petit amoureux d’autant que cette relation est secrète.
Mais pour glisser maintenant vers la pathologie, venons-en à la phobie scolaire, véritable exacerbation de l’angoisse de séparation. J’ai l’habitude d’explorer, chez les adolescents qui présentent cette symptomatologie, leur histoire passée et plus particulièrement le moment fondamental des phobies, justement, de la petite enfance. Phobies qui sont selon Freud une maladie physiologique normale et dont Winnicott nous a bien fait comprendre la normalité “car un enfant qui n’a pas peur d’un orage dans les rues de Londres, n’est pas normal ! » La résolution des peurs se fait par l’acquisition de l’idée de la mort, reine des peurs. A ce moment clé de notre évolution psychique peuvent survenir des événements confirmant cette crainte : décès des grands-parents, d’une vieille parente éloignée, même d’un animal domestique ou aussi une séparation du couple parental ou un simple déménagement. Un exemple clinique pour mieux expliciter mon propos
“15 ans, refus scolaire anxieux depuis plusieurs mois. Lors de l’entretien elle me confie un souvenir traumatique, alors qu’elle était en maternelle, le père d’un de ses camarades de classe s’est suicidé et elle avait refusé d’aller en classe, craignant un malheur pour son propre père, un autre moment de refus scolaire anxieux à l’entrée en 6ème, dispute et rupture avec une amie et enfin pour la période actuelle un bilan cardiologique pour son père grand fumeur“
On voit donc que cette crainte est évolutive et peut métastaser lors de l’adolescence, moment où pour les fragiles la peur de la vie, de l’avenir fait plus peur que la mort. Il faut quitter la pensée magique de l’enfance : papa est le plus fort et toi la plus belle, pour accepter non seulement les défauts de nos parents mais aussi nos propres limites. L’angoisse alors ressentie peut entraîner une attitude régressive. On ne peut plus se séparer, on ne peut plus aller au collège. Pour peu qu’un cyber harcèlement soit présent, que l’on perçoive inconsciemment une hostilité, alors on s’isole, on s’enferme comme si l’orage menaçait. Que faire ? De fait, savoir accepter de ne plus scolariser (met-on un enfant qui a peur du noir dans une pièce obscure ?) Utiliser le CNED car il faut poursuivre par correspondance les enseignements ou le téléenseignement (mais cela est-il organisé ?). Être attentifs à la greffe de phobies sociales, prescrire énergiquement la poursuite d’un sport collectif dans l’idéal (on utilise souvent le Rugby, ou la voile en équipe, et le nœud de chaise pour amarrer le bateau) Mais ne pourrait-on pas envisager des actions précoces préventives pour le refus scolaire anxieux ? La pandémie de la Covid19 a permis le développement fort de vidéo consultations. Génial pour les ados ! C’est leur mode de communication privilégié. Alors, une équipe mobile virtuelle de pédopsychiatrie est mise en place, à la disposition des collèges, des lycées. Comment et quand ? Par exemple, une adolescente vient régulièrement à l’infirmerie pour maux de ventre, vertiges…
Les causes organiques de ces symptomatologies sont exclues, mais on sait qu’en cas de conversion somatique le sujet souffrant vraiment de cela ne supporte pas l’idée que ce soit d’ordre psychique comme s’il était, en somme, responsable. Alors, justement, on « dépsychiatrise » en communiquant par vidéo, in situ, au sein même de l’infirmerie, avec l’infirmière, les parents, bien-sûr, informés et d’accord. Il est certain que l’on éviterait ainsi l’évolution vers une pathologie plus serrée. Simple non ? Pourquoi ne pas essayer ?
Pourtant l’ARS dont nous dépendons hésite ou ne comprend pas. On entend qu’il faut plus de moyens, renforcer la pédopsychiatrie… Et voilà qu’en initiant une proposition rentable tant psychique que moins onéreuse qu’une journée en hôpital de jour, et également préventive, on révèle le point faible de notre système de santé. En somme lors d’une épidémie de phobies sociales il s’agirait d’un vaccin psychologique virtuel ! On va essayer de convaincre, on va y arriver. L’autre jour, sur le quai, j’observais une petite fille et son grand père. Il lui apprenait le nœud de chaise : ” le serpent sort du trou (la boucle d’un des bouts du bout) tourne autour de l’arbre (le cordage vertical) et retourne dans le trou. Maintenant tu serres, c’est ton nœud de chaise et puis regarde je le défais facilement !” Bravo Monsieur, je vais essayer d’être aussi clair que vous avec l’administration.