Retrait social des jeunes
et le changement de la société
Kunifumi SUZUKI, professeur émérite de l’Université de Nagoya Japon
Le phénomène
« student apathy »
C’était au début des années 70 au Japon, après la disparition soudaine du mouvement politique des étudiants qu’on a vu apparaître la description du tableau clinique de « student apathy», c’est-à-dire des formes d’apathie touchant particulièrement les étudiants et entrainant un abandon des études. Certains psychiatres à l’époque ont prêté attention à ce tableau des étudiants et l’ont décrit comme un type de dépression légère. Le retrait social est alors limité aux études et ces jeunes continuent généralement à être actifs dans d’autres domaines d’investissement. L’apathie des étudiants est donc une forme de retrait partiel et diffère du phénomène des Hikikomori. Cependant, il semble y avoir un lien étroit entre ce phénomène « student apathy » et le phénomène des Hikikomori.
Hikikomori, retrait complet de la société, a commencé à croître dans les années 80 au Japon, et à attirer l’attention des médias au début des années 90. Il est important de rappeler que Hikikomori n’était pas une notion médicale, elle a été introduite à l’initiative des médias. Il est aussi intéressant de rappeler que le phénomène préexiste à la généralisation d’Internet dans les foyers, contredisant l’idée répandue qu’Internet serait une cause directe de ce phénomène. Il existerait actuellement au Japon entre 500.000 et 1.000.000 d’Hikikomori. Bien que les chiffres varient selon les enquêtes, cela laisse à supposer que près de 3,3% de la population entre 15 et 50 ans serait Hikikomori. Je pense qu’il est important de souligner que le changement de la structure de la société, surtout la baisse de « la gravité » de la société serait une des principales causes de l’augmentation du phénomène de Hikikomori (j’emploie ce mot « gravité » sur la base de la discussion de C. Melman dans son livre « L’Homme sans gravité », surtout de ce qu’il discute d’une jeunesse sans perspectives).
Hikikomori “primaire” et “secondaire”
Dans la situation actuelle, je pense qu’il est approprié de prendre des mesures contre ce phénomène en le divisant en primaire et secondaire. On peut qualifier de « primaires » les Hikikomori pour lesquels le sujet ne répond à aucun des critères diagnostiques d’un trouble psychiatrique qui permettrait de rendre compte de la conduite de retrait social. A la différence, l’Hikikomori est dit « secondaire » quand la conduite de retrait est la conséquence d’un trouble psychiatrique caractérisé : schizophrénie, état dépressif, états névrotiques graves, troubles du spectre de l’autisme etc..
Concernant Hikikomori secondaire, le traitement de la maladie qui en est une cause est nécessaire, c’est-à-dire que des mesures médicales doivent être prises en priorité. Concernant Hikikomori primaire il ne s’agit pas nécessairement d’un traitement médical à demander. Il est plutôt important de le traiter par le biais de collaborations avec des domaines tels que l’éducation, l’administration, l’organisations de soutiens (le soutien par les pairs etc.).
Afin de faire avancer la recherche sur Hikikomori, la coopération entre la psychiatrie et la sociologie sera vraiment indispensable.