Les invités surprises des fêtes de famille
Dr Xavier Bénarous
Dans une famille où un jeune présente des conduites d’enfermement, l’arrivée des fêtes de fin d’année est souvent difficile. Cette période confronte le jeune et ses parents aux questions inhérentes à toutes réunions de famille : sous quelle forme auront-elles lieu cette année ? Va-t-il [le jeune reclus] y participer ? Faut-il tolérer ces conduites de retrait ou bien lui montrer que lui aussi doit répondre aux engagements familiaux ? Ces questions sont loin d’être anecdotiques ; au contraire, elles mettent en lumière des enjeux psychologiques au cœur des conduites d’enfermement du jeune.
Les fêtes sont avant tout l’occasion de s’inscrire dans un rituel social qui vient par-là scander la fin de l’année écoulée. C’est nécessairement l’occasion d’un bilan, plus ou moins explicite, puisqu’il faudra bien répondre aux questions naïves et parfois maladroites de l’entourage (« Alors, que devient-il ? Que fais-tu finalement ? »). Rappelons, que l’isolement du cercle social, et donc familial, est bien souvent un moyen pour le jeune d’éviter de se confronter à un vécu de honte qui le déborde. E. Boé rappelle dans son dernier courrier comment chez certains jeunes la recherche d’une invisibilité sociale se manifeste par une organisation de vie guidée par des rythmes de vie propre sans rituel, fêtes civiles ou religieuses qui viendraient rappeler toute forme de cyclicité.
Les fêtes de fin d’année confrontent nécessairement les parents à leurs propres histoires familiales. Des souvenirs qui témoignent de la relation de chaque parent avec sa propre famille reviennent plus facilement en mémoire dans cette période. Ils viennent former des modèles ou éventuellement des contre-modèles par rapport à la relation que chaque parent souhaiterait avoir avec ses enfants (« J’ai tout fait pour faire différemment »). Cela peut parfois prendre la forme d’émotions sans souvenir précis, juste un sentiment d’incompétence ou de disqualification. Ces émotions sont rarement sans lien avec les représentations qu’ont les parents des attentes supposées de leurs propres ascendants. C’est un peu comme si à table parmi les invités se retrouvaient des ancêtres disparus portant un regard sur les autres membres de la famille.
Bienveillants ou disqualifiants, ces jugements imaginaires fonctionnent sous la forme d’injonctions qui traversent les générations.
Tenir compte de la présence de ces disparus, et des idéaux qu’ils transmettent, aide à comprendre comment ils peuvent guider nos choix et réactions en famille malgré nous (« qu’est ce qui m’a pris de réagir comme ça » « c’est comme si c’était ma propre mère qui parlait là »). Cela peut prendre la forme d’injonctions envers soi-même ou autrui à se comporter de telles ou telles manières sans pouvoir préserver une forme de tolérance indispensable à la coexistence sereine dans le foyer. Ces impératifs vont bien sûr influencer la relation avec le jeune Hikikomori qui par définition sollicitent d’avantage les compétences et l’estime de soi des parents.
Aux proches de jeunes en situation de retrait social intéressés par ces questions je recommande la lecture du livre de Christophe Boltanski « La Cache » (2015, éditions Stock). En premier lieu pour la description de la façon dont des traumatismes psychologiques vécus par des aïeux peuvent se réactualiser à la génération suivante, quand l’évènement n’a pas été vécu et que seul a été perçu un climat de méfiance et de catastrophe sans réelle représentation associée. Mais surtout, pour les solutions trouvées par les enfants, Jean-Elie, Christian, Luc et Anne. Ce témoignage rend compte de l’importance d’aider un jeune en situation de réclusion à trouver une voie singulière d’expression de soi. L’aide des pairs est essentielle pour permettre une resocialisation, ici la fratrie jouera un rôle crucial.
Si les fêtes de fin d’année sont une période si douloureuse pour les familles de jeunes en situation de retrait social, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un temps où se dévoile des problématiques au cœur de ses difficultés (regard social, attentes supposées du groupe, peur de décevoir, impératifs transgénérationnels guidant les réactions de toute la famille). C’est aussi l’occasion de montrer au jeune que les rôles sociaux ou familiaux sont moins rigides que ce qu’il s’imagine. Trouver une solution de compromis ou inattendue peut être l’occasion de le rassurer sur sa propre capacité à sortir d’un style de pensée en tout ou rien (soit la soumission aux rituels familiaux immuables, soit la toute-puissance fantasmée d’une autonomie sans limite). Trouver une solution tierce nécessite beaucoup de temps et de patience ; et pour l’entourage de se confronter avec courage à ses propres fantômes familiaux et leurs injonctions.
Bonne fête à tous