novembre 2021

Et si c’était une impossibilité de solitude ? Marie-Jeanne Guedj

ET SI C’ETAIT UNE IMPOSSIBILITE DE SOLITUDE ? 

Marie-Jeanne Guedj Bourdiau

Du cœur de la pivoine

L’abeille sort

Avec quel regret !

Haiku de Bashô Matsuo

La solitude est une préoccupation constante de l’humanité : retraite mystique favorable à l’élévation spirituelle, solitude choisie ou subie de ceux qui s’enferment, isolement délétère de ceux qui n’ont personne pour les secourir. Elle a déjà fait l’objet d’un colloque en 2013 (La solitude, Fondation pour la Croix Rouge), mais elle devient une préoccupation mondiale avec la création de Ministères de la Solitude (Royaume Uni, Japon). Pandémie oblige, et aussi évaluation du coût économique associé. L’isolement social, perçu et objectif, augmenterait le risque de mortalité comme le tabagisme et l’obésité. Il concernerait 162 000 Américains ; au Royaume-Uni, l’impact économique de la solitude est estimé à 3 milliards de dollars par an.

Quelques travaux interrogent : « solitude bonne ou solitude mauvaise ? » On utilise les termes de « oneliness » pour désigner le fait d’être seul en se sentant satisfait (en effet ce mot est ancien car le mot solitude n’existe que depuis 1800). « Loneliness » désigne le sentiment d’esseulement, tandis que « aloneliness » vient à décrire le besoin de solitude ressenti mais non satisfait. Ce détour anglophone désigne bien que solitude/isolement/esseulement ne sont pas réductibles à une catastrophe subjective. A côté de quoi se développent les interventions ciblant la détresse associée à la solitude.

Ainsi, la solitude est définie aujourd’hui comme une détresse subjective, résultant d’un écart entre les relations sociales souhaitées et perçues.  L’isolement social perçu est distinct de l’isolement social objectif, défini par le nombre de personnes existant dans l’environnement de la personne. La solitude apparaît comme un état subjectif et un trait de personnalité déterminé par la génétique, voire la physiopathologie hormonale et cérébrale.

Nous reprenons les travaux de KATO et al en considérant que le jeune hikikomori, apparemment isolé aux yeux de tous, connaîtrait de fait l’impossibilité de solitude. Toujours comblé par le recours addictif à l’outil numérique, sans jamais assumer que « ça manque », il est seulement en colère quand il est dérangé ou quand le réseau dysfonctionne… Seul dans sa chambre dans la maison parentale, il n’a pu profiter de la capacité d’être seul en présence de la mère, tantôt isolé physiquement dans sa chambre, même pour les repas, tantôt en s’extirpant violemment. La technologie et la mondialisation qui ont bouleversé les mœurs sociales et perturbé les liens sociaux traditionnels conduisent à l’impossibilité de solitude par la surcharge d’informations, la connectivité 24 heures sur 24, les relations innombrables sur les réseaux sociaux. La plupart de ces jeunes ne se plaignent pas d’isolement, ils sont toujours très occupés, les parents les dérangent.

C’est seulement quand ils peuvent, en leur nom, demander de l’aide qu’ils parviennent en même temps à se plaindre de l’isolement et à aborder avec le thérapeute la sensation de solitude, voie nécessaire durant la séance. KATO et al considèrent la psychanalyse, et ce qu’elle implique d’assomption de la solitude en séance, comme le traitement de choix du jeune hikikomori.