Isolé à domicile, par Nicolas Tajan*
L’artiste Watanabe Atsushi a vécu trois ans de hikikomori et décrit son isolement comme un suicide mental, une mort sociale et la perte de sa place dans la société. « C’était dû à mon sentiment d’avoir perdu ma place dans le monde, ainsi qu’aux nombreuses blessures laissées par dix ans de dépression, à la trahison de ma fiancée, aux inquiétudes concernant mon avenir de jeune artiste, et à mon rejet par les mouvements sociaux dont je faisais partie (…) Ma mère n’est pas intervenue, et mon père m’a vu comme une nuisance à éliminer et, à cette fin, a commencé à envisager de me faire interner dans un hôpital psychiatrique. » (Watanabe 2020 : 6) Il vivait avec ses parents qui frappaient rarement à sa porte et, un jour, il a cassé la porte de sa chambre. « Je me suis mis en colère contre ma mère qui avais cessé d’intervenir, je suis sorti de ma chambre dans laquelle j’étais enfermé depuis quelques mois, et j’ai donné un coup de pied à la porte. J’ai crié à ma mère : C’est comme ça qu’on ouvre la porte ! », écrit-il (www.atsushi-watanabe.jp).
Plus précisément, il l’explique dans son livre : « Une fois, après trois mois de hikikomori, ma mère m’a dit de l’autre côté de la porte qu’elle voulait m’aider. Mais après cela, plusieurs mois ont passé sans même qu’on frappe à ma porte.
J’ai rapidement été enragé, moins par les raisons qui avaient fait de moi un hikikomori au départ, et plus par les circonstances qui m’avaient donné l’impression que ma mère m’avait abandonné. » (Watanabe 2020 : 51) Puis il a réalisé que sa mère était paralysée et qu’elle se préoccupait constamment de la façon de l’approcher, et il a voulu la « protéger » (Watanabe 2020 : 6). En d’autres termes, Watanabe Atsushi avait des conflits avec son père et se sentait « abandonné » par sa mère, ce à quoi il a réagi violemment.
La littérature sur le hikikomori est encore contaminée par l’idée selon laquelle ils seraient des enfants gâtés immatures hypnotisés par leurs ordinateurs. Ce n’est pas le cas pour beaucoup d’entre eux qui font l’expérience d’un abandon subjectif associé au sentiment d’être isolé chez eux (Tajan 2021).
* Nicolas Tajan est maître de conférences à l’université de Kyoto, président de l’International Mental Health Professionals Japan.
Références :
– Tajan, Nicolas. 2021. Mental Health and Social Withdrawal in Contemporary Japan: Beyond the Hikikomori Spectrum. Oxon: Routledge, Japan Anthropology Workshop Series.
– Watanabe, Atsushi. 2020. I’m here. Yokohama: BankART1929