juin 2021

Tempo collectif et rythmes privés chez les sujets hikikomori, Emmanuelle Boë

Tempo collectif et rythmes privés chez les sujets hikikomori par Emmanuelle Boë

 Comme s’ils s’étaient désolidarisés du temps collectif, les jeunes Hikikomori adoptent des rythmes privés qui ne se calent sur aucun autre. Ainsi, un adolescent de 16 ans, reclus depuis 3 ans, m’a demandé à l’occasion d’une visite à domicile si le mercredi était toujours le jour de repos des enfants en France. Il semblait se situer à une autre époque. Les rythmes scolaires, paradigmes des rythmes sociétaux, auraient bien pu se bouleverser pendant son retrait du monde. L’articulation entre son rythme privé et le tempo collectif semble comme faire défaut aux jeunes Hikikomoris.

Le rapport libidinal au rythme de chacun se construit d’abord dans les temps primordiaux de la petite enfance dans la pulsation des échanges expressifs entre le jeune et son environnement. La rencontre de la mère et du bébé sera le premier espace de ce dialogue rythmique fait de partage sensoriel et émotionnel ponctué de phases d’échange et de retrait. Aux macrorythmes des soins, prévisibles et calés sur le développement physiologie du bébé, se greffent les microrythmes interactifs (notion introduite par Marcelli), beaucoup plus subtils car affaire d’ajustement mutuel.

Comment se rencontrer lorsqu’on ne partage pas un minimum de rythmes de vie ? C’est le premier défi que nous posent ces patients. Si la rencontre peut tout de même s’organiser, la synchronie interactive ne sera pas pour autant au rendez-vous. Un débit qui se précipite avant de s’interrompre abruptement, une phrase mélodique qui se clôture tandis que la phrase verbale reste inachevée, des pauses qui se prolongent… Le deuxième défi est ici, dans notre capacité à nous ajuster aux silences et aux accélérations de l’autre, à supporter l’inachevé d’un propos, à adopter un tempo qui n’est pas le nôtre sans le contrarier. Le premier temps de la rencontre avec un sujet Hikikomori est celui de ce partage rythmique, écho des premiers âges de la vie, condition de l’investissement du lien.