Hikikomori et Covid par Antonio PIOTTI.
Au début, il s’agissait d’intuitions, mais, au fil du temps et en échangeant avec de nombreux collègues qui prennent en charge des jeunes en retrait, une considération est devenue de plus en plus évidente : après le confinement imposé par la Covid, notre hikikomori a montré des signes d’amélioration. Rien de flagrant, mais un esprit, quelque chose qui ne pourrait pas être ignoré. Certains jeunes commençaient à quitter leur chambre en se rendant étrangement disponibles pour une rencontre avec leurs parents : un film vu ensemble, un déjeuner partagé, quelques mots échangés plus librement. D’autres, d’une manière tout à fait paradoxale lorsque la loi l’interdisait, se risquaient à sortir de chez eux et à effectuer de petits tours d’exploration dans les rues désertes de la ville.
Comment expliquer ces changements ? Un premier point semble évident : le retrait social généralisé dû au confinement nous a tous forcés à réduire le sentiment de différence et donc parfois d’inadéquation, ce qui était déjà ressenti par les jeunes en retrait : « Si tout le monde est enfermé chez lui, alors notre comportement n’est pas si étrange ». De plus, toujours dans cette perspective, l’explosion de la pandémie semble paradoxalement avoir confirmé ce comportement comme s’ils disaient : « Vous voyez que nous avons bien vu les choses ? Que notre mode de vie est vraiment le plus fonctionnel, que le contact avec le corps de l’autre est vraiment dangereux ? Mais, si c’est le cas, pourquoi sortir maintenant, pourquoi ne pas accentuer davantage le retrait ? Parce que, peut-être, le virus a mis la menace en pratique. Aussi invisible soit-il, le micro-organisme qui nous infecte est encore quelque chose de plus définissable, de plus contrôlable que le terrible sentiment du regard de l’autre qui met à nu notre ineptie indigne ». « Si je peux éviter ce croisement de regards, comment pouvez-vous penser que je m’inquiète de la gouttelette salivaire ? D’autant plus que, même à l’extérieur de la maison, les distances maintenues et les masques sur le visage rendent la reconnaissance plus difficile ? ».
En d’autres termes, il semble que le confinement ait rendu la stratégie défensive du hikikomori moins contraignante. Si auparavant, pour éviter le risque de décompensation psychotique, il fallait se barricader dans la pièce et inverser le rythme circadien, aujourd’hui la pandémie permet d’utiliser des mécanismes moins rigides. Que se passera-t-il demain, lorsque la menace pandémique cessera enfin ? Difficile à dire : il peut arriver que ces faibles ouvertures permettent la reprise d’un discours évolutif, mais ce n’est pas sûr. La vie pourrait, en effet, appliquer la même menace voire l’exaspérer au point de conduire les personnes jusque-là non concernées à choisir, à leur tour, la voie de l’emprisonnement.