Hikikomori, temps et espace par Jean-Pierre VIGNAT [1].
Le syndrome de réclusion volontaire, lorsqu’il n’est pas l’agir d’une représentation délirante du monde exigeant de se calfeutrer dans un abri, est souvent référé à la question de l’enveloppe, du contenant. Le concept métaphorique du Moi-Peau, proposé par D. ANZIEU, à la suite des travaux d’E. BLICK et de W. BION, donne sens aux enveloppes concrètes emboîtées que sont la peau, le vêtement et la chambre, à la fois contenants et espaces de projection, comme une matriochka.
Il faut aussi parler du contenu, à savoir du corps reclus dont le logement et le vêtement sont les annexes. C’est par le corps, notre premier et ultime étayage, que nous sommes inscrits dans l’espace et dans le temps et c’est par lui que nous mourrons.
L’éprouvé corporel, indissociable de l’éprouvé du temps, est déformé chez les sujets Hikikomori. Cette déformation n’apparaît pas liée à une construction délirante, comme dans le syndrome de Cotard, mais, comme dans l’anorexie mentale ou dans le déni de grossesse, liée à un trouble de la somatognosie. Cependant, la psychomotricité, en lien avec l’image du corps, reste peu explorée.
Le temps vécu est également très déformé chez ces « disparus-vivants » qui aspirent à la mort sociale et non à la mort biologique. Ce temps, associé à la restriction sociale, est à la fois figé, dans une ritualité souvent immuable, et inscrit dans l’immédiateté du fait que les rares contacts physiques sont fugaces et que les contacts virtuels, générés sur l’écran, sont à la fois multiples et éphémères.
On a pu parler d’« adolescence sans fin », ce qui évoque une organisation limite, dans un éternel sur-place où le corps charnel du sujet est mis hors-jeu et où l’autre est également désincarné en miroir par le dispositif de la virtualité. L’intersubjectivité est ainsi littéralement impensable dans cette désincarnation.
[1] Psychiatre des Hôpitaux, PH Honoraire (CH St Jean de Dieu-Lyon). jean-pierre.vignat@orange.fr